La Capoeira

            Il s'agit d'un univers en soi, d'un esprit, d'une philosophie, d'un art de vivre, d'une pratique, d'une famille, d'une corporation avec ses règles et ses rites, ses histoires et même ses blagues et ses personnages légendaires. La Capoeira est encore une tradition, une hiérarchie qui se décline en maîtres, contremaîtres, professeurs et animateurs. On ne s'autoproclame pas maître de Capoeira, on est reconnu comme tel. 
Vous l'aurez compris, la Capoeira est sacrée. Une forme très analogue, aussi bien dans les gestes que dans les rythmes, est connue et pratiquée dans tout l'océan Indien sous le nom de moringue depuis plusieurs siècles.

La capoeira est née au 16ème siècle chez les esclaves brésiliens qui adaptèrent une technique de combat originaire d'Angola de façon à ce qu’elle passe pour une danse aux yeux des maîtres blancs.

  • DEUX FONDATEURS
Mestre Pastinha : 

Vicente Ferreira Pastinha, né le 5 avril 1889, à Salvador de Bahia, a commencé la Capoeira Angola à l'âge de 8 ans grâce à un africain appelé Oncle Benedito qui un jour vit cet enfant  petit et maigre se faire  battre par des plus grands. Ce jour, il décida de lui enseigner la Capoeira. A 13 ans, Pastinha était devenu l'enfant le plus respecté de son quartier A 21 ans, Pastinha commença à enseigner la Capoeira et à en donner une nouvelle idée avec une structure nouvelle instaurant discipline et respect mais conservant la forme de jouer des anciens. Pastinha est mort en 1981 et est consideré comme le plus grand Mestre de Capoeira Angola de tous les temps.


Mestre Bimba :  

Manoel dos Reis Machado, né le 23 novembre 1900, aussi à Salvador de Bahia, commence la Capoeira Angola à l'âge de 12 ans avec le capitain Bentinho. En 1926,  Bimba  crée une nouvelle Capoeira la "Capoeira Regional". Père de la Capoeira moderne, en 1937, Mestre Bimba obtient la première licence officielle pour dispenser des cours de Capoeira. Mestre Bimba est mort le 5 février 1974.


  • UNE DANSE
Il faut différencier la Capoeira ANGOLA et la Capoeira REGIONALE. La première ressemble plus à une danse tandis que la seconde est plus proche d'une technique de combat, plus agressive. Une danse destinée à "endormir" les maîtres blancs, à leur faire croire que les esclaves pratiquaient une activité innocente. 

  • UN SPORT DE COMBAT
En apparence inoffensive, la Capoeira était une véritable préparation au combat. Il s'agissait avant tout d'une lutte contre l'oppresseur pour la liberté. Après 1888, les anciens esclaves adeptes de la Capoeira s'organisèrent en milices et la capoeira fut interdite par le gouvernement. En effet, les "capoeiristas" étaient de redoutables combattants. Ils devinrent d'ailleurs légendaires dans la lutte contre l'occupant hollandais, pour leur courage et leurs hauts faits. La Capoeira fut de nouveau autorisée par le gouvernement en 1937, grâce au soutien des intellectuels, avant de devenir le sport de combat national. 

  • UN ART
Un art de vivre et d'être ensemble, une culture, une musique, des chants, des légendes, un jeu, un flirt, un théâtre, l'art d'improviser et l'art d'être malin aussi. La technique ne suffit pas et le Maître se caractérise tout autant par ses tours de malice. Il en fallait aux esclaves noirs pour survivre tout en protégeant leurs traditions ! Celui qui n'est pas le plus fort peut être le plus malin… Certains mouvements imitent ceux des animaux. 

  • UNE MAGIE
La Capoeira, c'est un esprit, la création collective d'une énergie, des rituels que seuls décodent les initiés. L'espace circulaire magique de la roda est formé par les capoeiristes eux-mêmes. La musique et les chants de la Capoeira sont envoûtants et se caractérisent par une grande authenticité. Le berimbau est l'instrument de musique qui la symbolise. C'est sa voix qui mène le jeu, appelle les participants ou leur commande de sortir de la ronde et qui leur donne des indications pendant le combat.

ETYMOLOGIE

On ne connait pas précisément l'origine du mot « capoeira », différentes théories essaient d'en expliquer son origine. 



1ère étymologie :

En portugais, capoeira désigne l’endroit où l’on parque les poules, autrement dit en français, une « cage à poule » ou « poulailler ». Il est alors souvent fait une analogie à l’endroit où étaient enfermés les esclaves  (appelés aussi Senzalas) pendant la domination portugaise.


2ème étymologie :


Capoeira pourrait également être originaire de la langue indigène Tupi-Guarani (langue principale avant 1600) avec là encore plusieurs interprétation, à savoir :
kaá (plante, feuille) et puéra (marqueur d’aspect) qui signifie littéralement « autrefois une forêt»  ou bien « Caa-apuam-era » ou « caa-puera », et désignerait depuis le début 18ème siècle « forêt coupée » ou « forêt renaissante sur une culture abandonnée ». Dans tout les cas cela renvoie à une forêt qui a été brûlée ou rasée. Dans ce genre d’endroit, une végétation épaisse et basse se développait, en faisant de bons endroits pour se cacher et s’enfuir.
Selon cette étymologie, le terme capoeira a été utilisé la première fois pour désigner les hors-la-loi, en particulier ceux qui fuyaient la justice en se cachant dans la jungle, on disait d’un esclave en fuite qu’il s’était « mis en capoeira ».
Dans un même ordre d’idées, certains pensent encore, que le mot portugais capoeira désigne à l’origine une clairière. En français, on pourrait le traduire par « herbe rase » (ce qui rejoint l’idée de la végétation épaisse et basse…).
Et selon d’autres encore mais toujours dans le même esprit, le mot capoeira désignerait une herbe sauvage qui poussait sur les chemins empruntés par les esclaves en fuite.


3ème étymologie :


Selon Carlos Eugenio, le mot serait une référence au capa, grand panier porté sur la tête par les esclaves.



4ème  étymologie :


Il serait également le nom d’un type de perdrix, le tocro uru, un oiseau qui a la particularité de simuler le combat contre un autre mâle pour conquérir la femelle. Ce terme désigne aujourd’hui l’art afro-brésilien, mélange de lutte et de danse, associé à un esprit ludique.

  
5ème  étymologie :


 K. Kia Bunseki Fu-Kiau, originaire du Congo, estime que le mot provient du mot Kikongo (langage congolais) kipura. Ce terme est employé pour décrire les mouvements d’un coq de combat. Il signifie également flotter, aller d’un endroit à l’autre, lutter, combattre ou flageller.

HISTOIRE 

  • GENESE DE LA CAPOEIRA
Il est très difficile de décrire en détail la naissance de cet art martial puisqu'il est né dans la clandestinité et donc n'a laissé quasiment aucunes traces (documents, écrits etc) pour raconter son histoire. Certains voient la capoeira comme totalement africaine car tout ce qui la constitue existe, ou aurait existé, sous une certaine forme en Afrique. Il est possible que la Capoeira ait été inspirée notamment des techniques de combat des armées du Royaume Kongo qui comprenait la République Démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville, l'Angola et le Gabon. Cet art de guerre à main nue était enseigné aux guerriers devant affronter les armées d'occupation et portait le nom de NGO-LO (en français, la force de la panthère, celle-ci étant le totem historique du peuple KONGO), selon la Société des Historiens du Congo-Brazzaville. 
D'autres pensent qu'elle est totalement brésilienne puisque née sur le territoire du Brésil bien qu'ayant pour créateurs des esclaves venant d'Afrique. 
Cependant la version la plus communément admise est qu'elle est inextricablement afro-brésilienne : pendant l'esclavage au Brésil dès le XVIe siècle, les portugais ont séparés et mélangés différentes tribus africaines pour diminuer les risques de révoltes, différentes populations se seraient retrouvées en contact et de ce regroupement hétéroclite serait née la première forme de capoeira, association de luttes et traditions africaines dans un contexte de société coloniale portugaise au Brésil.
La capoeira exprimerait une forme de rébellion contre la société esclavagistes. Les premiers capoeiristes s'entrainaient à lutter en cachant leur art martial sous l'apparence d'un jeu ; ainsi quand les maîtres approchaient, le caractère martial était déguisé par la musique et les chants, le combat se transformant promptement en une sorte de danse en forme de jeu agile qui trompait leur méfiance et les empêchaient de voir le caractère belliqueux de la capoeira pensant qu'il ne s'agissait que d'une autre « brincadeira » d'esclave (du portugais : jeu ou divertissement). Elle aurait été aussi pratiquée dans les « quilombos », refuges secrets d'esclaves en fuite créés dans des endroits peu accessibles pour échapper à leurs tortionnaires. 
La capoeira traduirait également une forme de langage corporel : les premiers esclaves parlant différentes langues et appartenant à différentes cultures l'auraient créé de manière fortuite ou infortuite comme une sorte de vecteur de communication inter-ethnique. Ce sont les explications les plus souvent émises, de nombreux historiens ont cherchés à expliquer les circonstances de la naissance de la capoeira mais il semble impossible de le faire d'une manière formelle et tangible.

  • PERIODE POST-COLONIALE
De mieux en mieux connue et définie au cours de l'histoire du Brésil, elle survivra jusqu'à l'indépendance du Brésil en 1822 et l'abolition (officielle) de l'esclavage en 1888 mais elle reste tout de même mal vue par l'autorité qui la considère comme dangereuse. Elle est utilisée notamment par des brigands et malfrats de tout genre, réunis en bandes rivales appelés « maltas de capoeira », la capoeira se pratiquait dans la rue et les « capoeiristas » ou « capoeira » causaient des désordres car ils l'utilisèrent régulièrement pour régler leurs comptes dans des affrontements sanglants. Lors de la guerre du Paraguay, le Brésil envoya de nombreux esclaves et condamnés faire la guerre en échange de leur liberté et beaucoup de capoeiristes moururent pour un pays qui n'avait aucune considération pour eux. En 1890 le Brésil pour interdire le mouvement de la capoeira en expansion créa un délit punissant ceux qui se rendaient coupable de « capoeiragem » : l'exercice de la capoeira. Quiconque était donc surpris en train de la pratiquer était emprisonné et pouvait être envoyé aux travaux forcés. Ainsi la capoeira est restée publiquement confidentielle pendant plusieurs décennies et ce statut fut intégrée dans ses « codes », les capoeiristes étaient anonymes et connus seulement par leur « apelido » ou surnom,. Le choix des instruments se porta sur des instruments légers et transportables et le toque de la « cavalaria » ou cavalerie était joué pour avertir de l'arrivée des autorités et permettre aux capoeiristes de fuir.

 

  • DEBUT DU XX SIECLE
Au début du XXe siècle la capoeira gagnant de plus en plus en popularité, elle se démocratisa et gagna en respectabilité. Elle fut soutenue par de nombreux artistes, penseurs et hommes publics brésiliens qui commencèrent à émettre la possibilité d'en faire une des manifestations populaires et culturelles brésiliennes.
Dans les années 1930, Manuel dos Reis Machado plus connu comme Mestre Bimba fonde la première école de capoeira qu'il appelle le « Centro de Cultura Fisica e Capoeira Regional » à Salvador de Bahia et créé le style de capoeira que l'on nomme « Capoeira Regional ». Ce fait est singulier car à l'époque la capoeira ne s'apprend que dans la rue et dans l'instant, s'entrainer à la capoeira dans une salle avec des entrainements codifiés  était nouveau et préfigure des multiples académies qui vont se créer par la suite. La capoeira regional se distingue de la capoeira traditionnelle car Mestre Bimba y intègrera des éléments de « Batuque », une lutte africaine que pratiquait son père, et d'autres éléments venus d'arts martiaux étrangers pour en faire une lutte différente de la capoeira traditionnelle. Un de ses souhaits est aussi de nettoyer l'image de la capoeira en la dissociant du banditisme et des problèmes de délinquance de la société brésilienne de l'époque. Pour cela, il n'accepte dans son académie que des individus pouvant certifier d'un travail ou d'un statut honnête : ainsi la première génération d'élèves se trouvent être en majorité des jeunes blancs aisés et de bonne famille ce qui à l'époque était une forme de respectabilité. En 1952 il réussit à attirer l'attention du président brésilien de l'époque, Getúlio Vargas, et fera une démonstration à la suite de laquelle le président affirmera que la capoeira est le "véritable sport national".
Totalement à contre pied de Mestre Bimba, Vicente Ferreira Pastinha connu comme Mestre Pastinha incarnera le courant qui souhaite conserver dans une certaine mesure la capoeira traditionnelle, et sera appelée « Capoeira Angola ».
Ce sont les évènements qui permirent à la capoeira de sortir de sa clandestinité et de s'affirmer de nos jours comme une des activités sportives les plus pratiquées par les brésiliens avec le football, le volleyball et le jiu-jitsu brésilien.

 

  • LA CAPOEIRA DE NOS JOURS
Avec l'essor de la capoeira, le Brésil a vu apparaître de nombreux groupes et vers 1970, un groupe qui souhaitait pratiquer la capoeira a créé un système de cordes à l'image des ceintures de couleur des arts martiaux asiatiques. Néanmoins, il n'y a pas d'uniformité entre les différents groupes de capoeira en ce qui concerne les couleurs des cordes. Chaque groupe a un classement de couleur qui lui est propre. La plupart du temps, la première corde est la blanche, symbole de virginité, mais parfois, elle peut être vert clair comme signe d'un fruit qui n'a pas encore atteint sa maturité. Dans certains groupes la corde blanche est celle des « Maîtres » eux-mêmes. Cela montre les différences parmi les groupes.
Les années 1980 et le renouveau des mouvements de conscience noire ont favorisé l'apparition des groupes qui cherchaient à se rapprocher de la tradition. Dans les mêmes années, des professeurs de capoeira se sont installés un peu partout dans le monde.
Au niveau international, la discipline de la capoeira est majoritairement organisée en groupes, eux-mêmes composés d'académies et d'écoles. Chaque groupe possède ses propres aspirations, pratiques et coutumes, tout en conservant la base culturelle commune de la discipline.